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Elévé par des femmes, Ilias Dris est né au Maroc. Au centre de leur univers, il est un observateur muet. Vivant à Nantes depuis une vingtaine d'années, il a matérialisé par l'écriture leurs voix intérieures, leurs vécus, leurs absences et loin de transmettre leurs états d'âmes, il délivre des histoires de vie, celles que toutes les femmes au monde, au delà d'une culture en particulier, ont traversées et traversent encore. Les deux comédiennes donnent vie à ces tranches d'existences brutes, sensibles, tragiques, dérisoires, quotidiennes et profondément humaines. Ces mots que l'on cache ou que l'on clame trouvent un écho en chacun de nous. EN JEU Jean-Pierre Bernay 1, rue Aliénor d'Aquitaine 17100 Saintes tél/fax : 05 46 74 79 14
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SUD-OUEST 15 MARS 2006 " Naissance d'un genre" Norbert Aumont est connu à Saintes, pour être cordonnier d'abord, ce qui se fait rare, mais l'un des meilleurs ensuite, ce qui n'est pas pour déplaire aux clients. Le grand public sait aussi de lui qu'il est vice-président de l'association du faubourg des Tanneries où il a élu domicile puisqu'il habite rue Berthonnière et qu'il adore son quartier. Le public n'ignore pas non plus la gentillesse du bonhomme et son sens de l'humour. Ce qu'il sait moins peut-être, c'est que ce Breton installé à Saintes depuis 1983, écrit. Et d'ailleurs, sur l'étal de sa cordonnerie, entre les lacets et les boîtes de cirage, ses livres édités à compte d'auteur, figurent en bonne place. C'est un peu grâce à cette mise en vitrine que Jenny Leignel, Jean-Pierre Bernay, Sophie Borgeaud et Damien Pagot ont découvert que leur cordonnier était aussi auteur à ses heures perdues. " Comme je savais que tous quatre étaient artistes et qu'ils savaient ce que littérature voulait dire, j'ai voulu leur présenter mes textes ", se rappelle Norbert Aumont. " Ca nous a inspiré, tant et si bien que nous avons décidé de les mettre en scène ", rétorquent à leur tour les artistes qui ne sont plus que trois aujourd'hui, depuis le décès de Jean-Pierre Bernay voilà quelques mois. Du sur mesure. Parmi les poèmes du cordonnier réunis dans " Etats d'âmes et Colégram ", chaque acteur a trouvé chaussure à son pied ! " Avec des bouts de textes, on a fait quelque chose qui se tenait de bout en bout, en créant des personnages et une histoire. " Et la rencontre artistique a donné lieu à un premier spectacle donné le 4 juin dernier à Saintes à la salle Saintonge. Et " Etats d'âmes et Colégram " a remporté un vif succès. " Grâce à ce premier spectacle, j'ai vu de quoi les acteurs d'Impromptu 17 étaient capables et j'ai eu envie d'écrire de nouveaux textes spécialement pour eux ", raconte Norbert Aumont qui, enfant, avait trouvé dans l'écriture un moyen de tromper l'ennui de l'école. On n'arrête pas le progrès, voilà donc la deuxième pièce qu'interprétera la troupe Impromptu 17 qui s'auto-produit. Ce groupe est né en 2004, telle une section de la compagnie de Saint-Porchaire Théâtr'ô Vert qui propose des interventions en milieu scolaire, des ateliers théâtraux et des spectacles pour enfants. Et les trois comédiens professionnels n'ont pas chômé, inspirés qu'ils étaient par les textes du cordonnier, puisqu'ils donnent ce spectacle ce week-end même ! Objet théâtral non-identifié. Damien Pagot est acteur, Jenny Leignel est danseuse et Sophie Borgeaud est chanteuse. Tous les trois montent sur les planches pour interpréter, non pas une pièce de théâtre, ni un récital de poésie, mais un enchaînement de situations jouées à travers des poésies, des textes en proses et des saynètes. " Le dénominateur commun, ce sont les personnages qui font le lien, chacun avec des traits de caractère différents : Damien dans la violence et la frustration tel un homme pressé; Sophie, naïve et sarcastique ressemble à une fausse ingénue; Jenny enfin, nostalgique et souffrant de l'absence, interprète la femme et ses fantômes ", raconte la troupe qui assure aussi la mise en scène. Norbert Aumont précise : " Les comédiens sont plus des traits de caractère, chacun vit son texte, mais ils sont trois sur scène. " C'est sans doute cette nouvelle formule, que le regretté Jean-Pierre Bernay avait qualifiée d'objet théâtral non-identifié, qui a tant plu au public la fois passée. Et aux jeunes en particulier, qui ont compris comme une littérature, faite pour l'écrit, peut devenir vivante sur scène. D'autant que la poésie, l'humour, la tendresse, l'humain, l'actualité aussi, tous ces thèmes chers à l'auteur, parlent aux spectateurs. " Cet Otni, c'est du théâtre : on ne joue pas une pièce, mais on est en situation théâtrale réelle et il y a un rapport entre les comédiens, avec de l'émotion qui passe ", commente Jenny Leignel. L'art et la manière. Finalement, " On ne peut pas tout dire " même si certaines sont suggérées, avec talent, sans jamais sombrer dans la vulgarité, avec une grande humanité. En voyant la pièce, le spectateur n'a qu'un mot d'ordre : se laisser porter par la pièce, le talent et l'écriture. " On passe à une histoire, on passe à une autre, mais si on se laisse embarquer dans toutes les histoires, on réussit à entrer dans une seule histoire ", prévient Damien Pagot. Dans une écriture mature et espiègle à la fois, Norbert Aumont aborde des thèmes graves comme la mort, sans tomber dans le morbide, ou comme la nostalgie de l'enfance tout en acceptant l'âge adulte. Et l'homme est toujours au centre de cet auteur généreux. Si ces grands thèmes philosophiques ont plu au spectateur, il pourra les retrouver en achetant les livres à la sortie du spectacle. Et il soutiendra des artistes comme le cordonnier qui, parce qu'ils ne donnent ni dans le régionalisme, ni dans le parisianisme, ne trouvent pas d'éditeur. " Karine Charov
Extrait: Gaétan : On ne peut pas tout dire. Agnès : Même aux enfants ? Gaétan : Même aux enfants. Charlotte : Aux adultes, on le peut certainement. Gaétan : Oh non ! Encore moins qu'aux enfants. Les adultes sont trop compliqués. Agnès : Tu déraisonnes, mon petit. Charlotte : Non, il a raison, les enfants aiment les mots, depuis tout petits, la musique des mots, l'odeur des mots, la forme des mots. Voyez à quelle vitesse ils apprennent à lire. Quel bonheur ! Ils attrapent les mots pour ce qu'ils sont, de tout cœur. Agnès : Justement, tout ce que l'on prend en plein cœur est très mauvais. Gaétan : Tu me fais peur quand tu parles comme cela. Tu me glaces le sang. Agnès : Je lui glace le sang ! Pauvre chochotte, elle a le sang glacé, la chochotte. A croire que jamais une seule phrase ne t'a brisée le cœur. Gaétan : Elle me fout la trouille que je dis ! La trouille ! Charlotte : Tu as toujours eu peur des mots. Agnès : Pas seulement des mots ! Il a peur de tout. Tiens, rien que dire : " On ne peut pas tout dire " C'est une preuve de lâcheté. Gaétan : Je ne suis pas un lâche ! Je l'ai prouvé pendant la guerre. Agnès : La guerre, la guerre ! La belle affaire ! T'as pas le choix, tu dois foncer sans réfléchir. Celui qui s'en sort a une médaille. Et ils appellent çà du courage ! De l'héroïsme ! Ils me font braire avec leur héroïsme obligatoire ! Charlotte : Ce n'est pas juste ce que tu dis là. La guerre, c'est l'enfer. Agnès : Ben justement, quand tu es en enfer, c'est la trouille qui te pousse au cul, pas le courage qui t'entraîne ma petite chérie. Gaétan : J'aurais voulu la voir sur le champ de bataille la Harpie ! Quand çà pue le cadavre. Quand tu cours sur les cadavres, la boue, le sang. Quand çà explose de partout, t'as des morceaux de viande qui te collent aux fringues, au casque, au fusil. Tu n'as même plus une larme à donner, rien, tu es sec dedans, gras dehors et tu galopes, tu galopes avec la mort qui te souffle sur la nuque. Charlotte : çà devait drôlement glisser. Je déteste quand çà glisse, on peut tomber et se faire mal. Alors il faut un peu de courage quand même. Gaétan : Vous m'emmerdez toutes les deux ! Vous ne comprenez rien ! Pendant les combats il n'y a plus ni courage ni peur. Il n'y a plus d'êtres humains ! Il ne reste que du bruit, du fracas, des odeurs terribles ! Dans de la fumée, un brouillard âcre. Je le sens encore. Je le sentirai toujours. Agnès : Pourquoi n'en parles-tu jamais avec nous, alors ? Pourquoi faut-il toujours qu'on te secoue pour que tu vomisses cette litanie ? Charlotte : Faudrait que tu nous dises tout. Que tu vides ton cœur. Comme on vide une vieille armoire, on ouvre les portes pour trier le bon et le mauvais. Nous resterions assis tous les trois, toutes deux silencieuses, toi tu expliquerais tout, lentement. Je te promets de me taire, de ne pas te couper la parole avec mes remarques stupides. Je te le jure. Oui, tout serait dit et tout recommencerait comme avant. Le bonheur, comme du regain, enfin le retour de la quiétude. Agnès : Alors vas-y, vide le ton sac de bile. Libère-nous bon sang ! Gaétan : On ne peut pas tout dire…
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